Yann Guichard, futur skipper du MOD Spindrift Racing, également engagé sur les Extreme Sailing Series avec Alinghi, et avec l’Energy Team qui prépare la prochaine Coupe de l’America revient sur ces différents projets dans cette interview pour Voile-Multicoques(réalisée pendant les Extreme Sailing Series de Nice).

Baptiste Morel/Voile-Multicoques.com
Voile-Multicoques.com : Tu viens d’annoncer ton engagement en MOD 70 avec la création d’une nouvelle société Spindrift Racing, pourquoi cet engagement sur ce circuit ?
Yann Guichard : Je fais du multicoque depuis près de vingt ans, c’est ma passion, je suis passé sur plusieurs supports en offshore et en inshore, avec une Route du Rhum dernièrement (en 2010 sur Gitana 11), ce circuit fait la synthèse de toute cette expérience, j’étais donc motivé et intéressé pour intégrer ce circuit.
Ce qui est fantastique dans ce projet c’est le fait de partir d’une page blanche, c’est la première fois que je peux construire un team à mon image, après avoir été équipier sur différents bateaux, puis skipper chez Gitana mais avec une équipe déjà en place.
Mon association avec Léo Lucet (directeur de Spindrift Racing) permet de partir sur des bases solides, puisqu’il a déjà géré ce genre de projet au sein du Gitana Team.
La vocation de Spindrift Racing est-elle seulement orientée vers le MOD ou souhaiteriez-vous intégrer d’autres projets multicoques ?
Le projet phare de Spindrift Racing est clairement le MOD 70, mais j’ai envie de partager mon expérience acquise en multicoque avec des jeunes.
Le multicoque revient comme support aux JO, donc pourquoi ne pas essayer d’aider des jeunes régatiers à travers notre structure.

© Yvan Zedda / Sea&Co / MOD S.A.
As tu déjà eu l’occasion de naviguer sur un des MOD ?
Pas encore, je suis seulement monté quelques minutes sur Race for Water à Lorient, mais j’ai eu beaucoup de retours par des amis, qui seront peut être de futurs équipiers sur le bateau.
Je pense que ce bateau est bien né, ce qui est logique avec des gens d’expérience comme Franck David et Stève Ravussin aux commandes. Ils sont partis des 60′ ORMA avec le cabinet VPLP, qui a le plus beau palmarès en multicoque océanique.
Le trimaran est simple avec beaucoup moins de gadgets que sur les trimarans 60′ ORMA, ce qui correspond à l’objectif de fiabilité de cette classe avec un programme sur 10 ans comprenant un tour du monde.
Nous avons déjà eu un bel aperçu de ce que seront les courses sur ces bateaux avec la Fastnet Race où les deux MOD 70 ont terminé à trois minutes d’intervalle après 30 heures de course et 600 milles parcourus.
Le plateau reste pour l’instant assez franc-français, penses-tu que l’engagement des grands noms de la voile et du multicoque puisse attirer les teams étrangers courtisés sur ce circuit MOD ?
Il y a des contacts avec des teams étrangers sur le circuit MOD 70, deux équipes ont déjà signé Race for Water pour la Suisse et Oman Sail, nous espérons que les six engagements finalisés attireront des sponsors et des skippers.
Au delà de la conjoncture économique actuelle, le frein vient du fait que la classe « n’existe pas » encore réellement, la Krys Match puis la Krys Océan Race permettront d’inviter des skippers, des clients qui pourront visualiser le potentiel du circuit, ce qui pourrait déboucher sur d’autres projets.
Le MOD 70 a une place à prendre, il y a un tour du monde en équipage en monocoque, la Volvo Ocean Race, désormais il y aura un tour du monde en multicoque.
Pour Spindrift Racing, notre vocation n’est pas de trouver obligatoirement un partenaire français, loin de là, nous sommes en pourparlers avec différentes entreprises, mais tant que rien n’est signé nous restons humbles.
Nous devrions retrouver des équipiers français à bord de tous les bateaux, car à l’heure actuelle les meilleurs équipiers de course au large en multis sont français, il serait bête de s’en priver. De mon côté j’aurai au moins un ou deux marins étrangers sur le bateau.
Tu fais partie de l’équipage d’Alinghi qui est engagé sur les Extreme Sailing Series, actuellement en deuxième partie de classement, que manque-t-il à l’équipage pour mieux figurer ?
Sur le bateau le potentiel est là, nous apprenons à nous connaître, c’est de mieux en mieux, mais les résultats sont en dents de scie sur les différents Acts.
Nous sommes parfois en tête mais nous avons du mal à terminer, nous étions en tête pendant deux jours à Trapani sur les « Open Water », avant de terminer sixième, les « Stadiums » (régates sur des formats courts) sont plus difficiles pour nous.
Nous avons raté des journées ce que nous ne pouvons pas nous permettre sur ce circuit où la moindre petite erreur, le moindre manque de cohésion se paient cash.
Il reste trois grands prix, rien n’est terminé, nous allons continuer à nous battre régates après régates, l’important est de se faire plaisir à bord et les résultats suivront, mais le plateau est conséquent, le niveau très élevé, c’est donc logique que les résultats soient serrés.

Baptiste Morel/Voile-Multicoques.com
Quel est la principale difficulté sur ce circuit des Extremes 40 ? L’exiguité des plans d’eau, le format très court des régates avec la nécessité de prendre de bons départs ?
Le départ est primordial, mais nous avons vu aujourd’hui que des départs moyens ne sont pas forcément rédhibitoires, les bateaux en retard sur la ligne peuvent prendre un côté du plan d’eau dans un vent frais, Gitana a pris des départs à droite en deuxième rideau, alors que nous étions tous bloqués sur la gauche, ce qui a été payant au final.
Cependant sur ce grand prix les conditions sont vraiment extrêmes avec un à quatre nœuds de vent, donc tout peut basculer sur une manche.
Tu as couru les deux derniers grands prix de D35 en Méditerranée, comment se comporte ce catamaran typé lac sur un plan d’eau ouvert ?
Tout s’est très bien passé pour nous, avec un beau grand prix à Beaulieu, de bonnes conditions pendant trois des quatre jours de régates, à Antibes nous avons eu un peu moins de vent, mais le bateau s’est bien comporté, ce qui limite ce bateau n’est pas l’intensité du vent, mais l’état de la mer, ce qui a d’ailleurs entrainé l’annulation d’une journée de courses à Beaulieu sur Mer.
L’expérience a été favorable pour toutes les équipes, je pense qu’une majorité souhaite renouveler ce type de navigations l’année prochaine.

Baptiste Morel/Voile-Multicoques.com
Tu as navigué sur l’AC45 d’Energy Team, quels sont les plus grosses différences entre ce catamaran à aile et un multicoque à gréement conventionnel ?
L’aile rigide est très efficace, nous l’avons vu lors de la dernière coupe, elle diminue beaucoup le fardage, le bateau est donc plus évolutif, il vire et empanne mieux.
La gestion de la puissance est assez incroyable sur les AC45, c’est très précis, nous avons trois réglages sur l’aile: le traveller qui permet de régler toute l’aile, ce qu’on retrouve sur un gréement classique ; le camber, qui est l’équivalent de la bordure sur un multi classique comme l’Extrême 40 ou le D35, et qui permet de régler la profondeur entre l’avant de l’aile qui nous appelons le mât et les flaps ou volets sur l’arrière de l’aile ; le twist, qui permet d’enlever de la puissance sur les flaps, ce qui correspond au cunningham. Ces éléments ne sont donc pas complétement différents dans la façon de naviguer.
Le fait de gérer à volonté la puissance est assez formidable. ce qui permet également de régater dans des conditions musclées, comme à Plymouth, où les catamarans ont navigué dans 30 nœuds de vent, ce qui est rare pour des multicoques de cette taille.
Les flotteurs sont très volumineux, les safrans ont une grande surface, ce qui amène un bon contrôle, le bateau est donc très tolérant.
L’aile gomme les défauts du multicoque par rapport au monocoque, un mono est très évolutif, l’aile rigide apporte cette évolutivité, la diminution du fardage fait que le bateau ne s’arrête pas, ce qui est une difficulté sur les phases de départ où il faut gérer le timing à la ligne.

©2011 ACEA/Gilles Martin-Raget
Energy Team a peu navigué par rapport aux top teams, est ce que des entrainements sont prévus pour combler ce retard ?
Le premier acte à Cascais était une phase de découverte pour toutes les petites équipes, avec une différence de niveau maximale entre les nouveaux teams et les autres (Oracle Racing, Artemis Racing et ETNZ), à Plymouth les coréens et Energy Team ont montré un beau potentiel, le retard s’est donc un peu comblé.
Pour atteindre le niveaux des tops teams, il n’y a pas de secret, il faut naviguer plus, les grosses équipes passent 200 jours par an sur l’eau.
Dans cette optique et avant le troisième acte à San Diego, nous allons naviguer une semaine à l’ENV (du 17 au 21 octobre) avec l’Energy Team pour faire du match race sur deux catamarans du Trophée Clairefontaine, nous allons nous entrainer avec Pierre Antoine Morvan, spécialiste français de match racing.
Nous allons également modifier un peu l’équipage avec Christophe Espagnon qui sera au réglage de l’aile à côté de moi (Yann Guichard barrera l’AC 45 d’Energy Team à San Diego) et qui assurera aussi la tactique.
Ensuite nous allons planifier d’autres entrainements sur d’autres supports, le désavantage que nous avons par rapport aux grosses équipes est l’impossibilité de naviguer à deux AC45, Artemis en a commandé un second, Oracle en possède quatre.
Nous ne pouvons pas naviguer entre les actes puisque les bateaux sont en transit, et nous ne pouvons pas faire de speed tests ou de réels entrainements avec les autres équipes, ce qui complique la tâche pour le développement des voiles d’avant.
Des entrainements à deux bateaux permettraient de progresser de façon exponentielle, nous l’avons vu en naviguant avec le Team Korea à Cascais.
Concernant ces formats de courses assez courtes, est ce qu’une réelle communication est possible entre le barreur et le tacticien (ou skipper) sur ces circuits Extreme 40 et AC 45 ?
En Extreme 40 non, sauf sur les Open Water, mais en Stadiums la décision doit se prendre sur l’instant, donc le barreur gère également la tactique dans 80% des cas, nous n’avons pas le temps de discuter du timing d’un virement sans se mettre dans une situation difficile, avec ensuite des « options » qui sont subies et non choisies.
Avant la manche, nous avons malgré tout le temps de discuter pour choisir le positionnement sur la ligne et le côté du plan d’eau à choisir, c’est donc un travail d’équipe.
Sur l’Extreme 40, je pense que pour avoir de bons résultats, les trois équipiers doivent être capables de gérer tout les postes pour faire avancer la machine, le barreur est moins concentré sur la marche du bateau que sur d’autres séries puisqu’il gère également la tactique.
En AC45 les parcours sont peu plus longs, les bateaux vont plus vites, la limite virtuelle doit être intégrée, ce qui ajoute une difficulté supplémentaire ; une aide à la tactique est donc essentielle.
Cet aspect nous a manqué sur les deux premiers rendez-vous, où nous étions plus en phase de découverte du bateau, nous devons passer sur un mode plus centré sur la performance.
Sur certains bateaux, la tactique est assurée par le numéro 2 qui gère les bastaques, sur d’autres c’est le régleur de l’aile ce qui me correspond plus ; nous fonctionnerons de cette façon avec Christophe Espagnon à San Diego.